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Allocution de Mons. Harvesh Seegolam, Gouverneur de la Bank of Mauritius lors de la Réunion-débat organisée dans le cadre de la Conférence des Gouverneurs des Banques Centrales des Pays Francophones-Maroc

Distingués Gouverneurs des Banques Centrales

Mesdames et Messieurs,

Tout protocole observé,

Bon après-midi, ou Bonsoir, en fonction d’où vous êtes.

Je tiens à remercier de vive voix le Gouverneur de la Bank Al-Maghrib, Son Excellence Monsieur Abdellatif Jouahri, et le Gouverneur de la Banque de France, Son Excellence Monsieur François Villeroy de Galhau, de m’accorder le privilège de m’adresser à cette auguste audience dans le cadre de cette réunion-débat.

Il m’aurait davantage plu d’être physiquement à vos côtés mais les circonstances en ont décidé autrement. Cependant, la Bank of Mauritius est dignement représentée en la personne de ma    Seconde Vice-Gouverneur.

Mesdames et Messieurs,

C’est un plaisir pour moi d’intervenir sur le thème de la monnaie digitale de banque centrale (MDBC), de parler des défis à relever et de souligner le travail qu’effectue la Bank of Mauritius au niveau des MDBC.

La MDBC, ou CBDC pour les anglophones, est au cœur des préoccupations, voire est même la priorité au niveau de plusieurs banques centrales, dont la Bank of Mauritius.

Comme entrée en matière, et pour souligner le vif intérêt que suscite la question de la MDBC, je tiens à me référer à la publication, en date du 6 mai dernier, d’une étude de la Banque des Règlements Internationaux. Cette étude met en évidence que neuf banques centrales sur dix se penchent activement sur les MDBC, et que plus de la moitié s’attèlent ou à les développer ou à mener des expériences concrètes pour la mise en circulation d’une monnaie digitale.

Il faut dire qu’en toile de fond, les défis posés mondialement par la COVID en matière de paiement ont mis en avant les capacités d’adaptation des banques centrales pour éviter toute disruption au niveau des transactions.

Nous avons aussi été les témoins privilégiés de l’évolution du comportement des consommateurs. Les chiffres démontrent que les paiements par le biais de cartes bancaires et autres moyens électroniques se taillent aujourd’hui la part du lion. Il est estimé que moins d’un tiers des transactions en point de vente s’effectue en monnaie fiduciaire.

En tant que banquiers centraux, bien que l’amélioration de l’efficience des systèmes de paiement et la préservation de notre compétitivité demeurent prioritaires, il s’agit aussi pour nous d’accompagner les évolutions sociétales, notamment en exploitant l’immense potentiel des technologies novatrices.

Mesdames et Messieurs,

La notion de l’argent elle-même est en pleine mutation.  Vous conviendrez que nous voulons tous que l’argent soit plus pratique, plus simple à utiliser, et surtout qu’effectuer des transactions soit moins onéreux.

Au chapitre du potentiel et des opportunités dont regorge les MDBC, il me faut souligner qu’aux yeux de la Bank of Mauritius, l’idée de créer une MDBC n’a nullement le but de remplacer la monnaie fiduciaire, mais d’en être, un complément et une alternative. J’entends ici me faire l’écho de plusieurs de mes pairs francophones. Dans une très grande proportion, nous pouvons anticiper que les MDBC supplanteront à terme des monnaies fiduciaires de moins en moins utilisées mais tout en maintenant l’élément de confiance dans une monnaie numérique publique.

Sur le continent, une des préoccupations majeures demeure la promotion de l’inclusion financière, et dans ce cas précis, de l’inclusion financière numérique. La promotion de l’inclusion financière numérique est d’ailleurs pour l’Ile Maurice un des points saillants de nos initiatives en matière de monnaie digitale.

Les MDBC sont souvent considérées comme un véhicule pour favoriser l’inclusion financière en accordant un accès universel aux moyens de paiement digitaux. De plus, un système MDBC pourrait servir de méthode de paiement supplémentaire, en plus de l'argent liquide, améliorant ainsi la résilience opérationnelle.

Un autre attrait des MDBC, c’est qu’elles permettent de vulgariser l’accès au système financier pour les personnes ou groupes sociaux considérés comme non-bancarisés, mais ayant cependant accès à des smartphones.  Il est un fait que la portée des réseaux mobiles est bien plus grande que celle de la bancarisation, et il est important de prendre cela en considération dans l’élaboration de toute MDBC.

Les MDBC ont également un impact transformationnel certain sur les structures de systèmes de paiements dans la mesure où elles permettent d’en optimiser l’efficience. Cela passe d’une part par la diminution des coûts d’intermédiation de manière significative et d’autre part par la consolidation de la sécurité au niveau des transactions.

A ce propos, l’Ile Maurice, qui est un centre financier international, attache une importance capitale à la sécurité et à la conformité. En tant que Chef de la Délégation Mauricienne dans le cadre des discussions avec le Groupe D’action Financière International (le GAFI), qui ont mené au retrait de l’Ile Maurice de la liste du GAFI, et subséquemment de la liste de l’Union Européenne, ma priorité demeure le renforcement de notre capacité à combattre le blanchiment d’argent.

L’introduction d’une MDBC est une étape décisive dans cette direction, tout comme dans la prévention de l’évasion fiscale et la réduction de l’économie informelle.

Un autre avantage déterminant – et là je mets en avant une perspective fondamentale pour tout pays et toute banque centrale­­ - est le fait que les MDBC permettent de garder le contrôle sur les monnaies et de préserver la souveraineté des états, notamment face à la propagation des monnaies numériques privées.

Mesdames et Messieurs,

En tant que banquiers centraux, il nous incombe de prendre des initiatives pour renforcer nos systèmes de paiement. Il nous faut aussi répondre aux attentes des consommateurs en termes de protection des transactions. Il est impératif de maintenir la confiance du public, d’assurer la stabilité du système financier et surtout de favoriser une plus grande inclusion financière numérique de la population.

Il est un fait que le concept de la MDBC est fermement ancré dans le paysage bancaire mondial et qu’il constitue une véritable révolution. Cependant, comme toute révolution, les MDBC comportent aussi des risques au nombre desquels ceux de la stabilité et de la conformité. Ces risques associés à la monnaie numérique sont à la fois macroéconomiques et micro-économiques.

Penchons-nous, si vous le voulez bien, sur une question essentielle, notamment la corrélation entre les objectifs des banques centrales et comment les atteindre grâce aux MDBC, et cela sans compromettre d’autres missions primordiales de la banque centrale, comme le maintien de la stabilité des prix.

Les implications des MDBC sont profondes. Elles peuvent entraîner des perturbations ayant un impact sur la transmission de la politique monétaire, la stabilité financière, l'intermédiation du secteur financier, le canal du taux de change et le fonctionnement du système de paiement.

Comme tout changement radical, l’introduction d’une MDBC nécessite une évaluation judicieuse. Il faut ainsi examiner les tenants et les aboutissants de chaque modèle de MDBC, et s’assurer à ce que les banques commerciales, si essentielles au bon fonctionnement du système financier, continuent à jouer un rôle prépondérant en tant qu’acteurs économiques.

Un autre volet important concerne le choix de la technologie qui soutiendrait le déploiement optimal de la MDBC et ses caractéristiques en matière d’évolutivité. Les technologies blockchain évoluent rapidement : la technologie de registres distribués (TRD), ou encore celle plus récente de Decentralized Finance (DeFi), peuvent être sujettes à des accès contrôlés ou publics, fondés sur des comptes ou sur des jetons, ce qui a des conséquences sur les plans opérationnels, de l’interopérabilité et du contrôle.

Ces technologies doivent encore être testées pour des utilisations à grande échelle afin d’être suffisamment mûres pour être fiables dans un contexte financier. Cela souligne la nécessité d’assurer l’interopérabilité, à la fois avec les systèmes conventionnels et les autres systèmes TRD ou DeFi.

Lors de la conception d’une MDBC, les banques centrales doivent également veiller à ce que la solution s’appuie sur une gouvernance forte et des processus adéquats permettant une production conforme de données par le biais d’un mécanisme de consensus.

L’interopérabilité entre les systèmes traditionnels et les dispositifs reposant sur la TRD ou la DeFi est nécessaire. Tous les nouveaux cas d’usage qualifiés de finance décentralisée soulèvent la question de la coexistence sûre et efficace de différents types d’architecture pour soutenir l’innovation tout en conservant un marché intégré pour les infrastructures et services post-marché.

Une chose est certaine : L’interopérabilité est donc essentielle car ni la finance décentralisée ni les MDBC ne remplaceront les systèmes centralisés du jour au lendemain.

Mesdames et messieurs,

Plusieurs pays, notamment sur le continent africain, dépendent grandement de l’envoi des fonds des migrants pour soutenir la population et lutter contre la pauvreté. Cependant, dans beaucoup de cas, les frais de transferts sont exorbitants. Je suis certain qu’avec la MDBC, les transferts transfrontaliers pourraient se faire à moindre coût et plus rapidement dans le futur.  

Tout développement comportant un aspect technologique nécessite une sécurité sans faille pour assurer l’intégrité et la confiance dans le système.  Une MDBC en elle-même, est un système électronique et par conséquent, n’est pas exempte de risque de défaillance technique. Certaines interruptions, comme celle notée en début d’année, peuvent même durer plusieurs jours.

L’amélioration du confort des utilisateurs en rendant possible les paiements hors ligne et entre pairs nécessiteraient des mesures de protection supplémentaires pour contrer le risque de fraude, car les fonctions de sécurité et les contrôles centralisés sont plus difficiles à mettre en œuvre sur un système distribué.  Il faut, par exemple, "verrouiller" les fonds volés ou se pencher sur les transactions suspectes.

Puisqu’il est question de risques technologiques, je pense qu’il faut aussi souligner le côté énergivore du processus de création des MDBC. C’est un sujet d’importance critique pour nous tous, surtout à un moment où les banques centrales élaborent des stratégies pour verdir le système financier et contribuer à relever les défis environnementaux.

La transformation digitale des services financiers soulève plusieurs autres questions politiques concernant la concurrence, les périmètres réglementaires et la garantie de conditions équitables. Les MDBC pourraient changer l'avenir de la finance grâce à des implications profondes sur les transactions d'actifs digitales. Ce phénomène est susceptible de créer de nouvelles opportunités pour les FinTechs de développer des services inter-devises plus conviviaux, stables et évolutifs.

L'élargissement du périmètre réglementaire peut-être difficile dans la pratique. L'intégration de nouvelles entités dans le giron de la réglementation financière peut nécessiter des modifications législatives. Les autorités doivent organiser la coordination entres les organismes de la réglementation financière et de la concurrence pour gérer les compromis entre stabilité et intégrité, concurrence et efficacité, et protection des consommateurs et vie privée.

Il y a aussi la question qui taraude les banques centrales au niveau de la coexistence des MDBC avec les actifs numériques privés, et également comment éduquer et protéger les consommateurs dans un contexte qui leur est totalement nouveau.

Mesdames et Messieurs,

Je saisis cette occasion pour mettre en avant ce que fait la Bank of Mauritius en vue de l’introduction de notre MDBC- la Roupie digitale au niveau de la République de Maurice. Ce sera un modèle hybride à deux niveaux.

Comme je l’ai souligné précédemment, l’inclusion financière numérique demeure en ligne de mire, notamment avec une attention particulière sur comment notre MDBC permettra d’éliminer les barrières, de réduire les coûts et de rendre notre système de paiements plus efficient.

Nous travaillons étroitement avec une équipe du Fonds Monétaire International. Cette assistance est en place depuis que le projet a germé, et elle se poursuit au niveau de la conception de la MDBC et s’étalera également lors du déploiement de la Roupie digitale.

A notre niveau, l’idée de l’introduction d’une MDBC a fait son cours et nous sommes sur la bonne voie pour concrétiser ce projet. Une étape majeure, avant l’introduction de la MDBC mauricienne d’ici fin 2022, sera le déploiement très bientôt de tests avec le soutien de partenaires technologiques et académiques.

Il est indéniable que le succès d’une MDBC dépend de la robustesse et de la modernité de l’infrastructure de paiement, de même que d’autres facteurs au sein de l’écosystème bancaire. Au nombre de ceux-ci se trouvent les cadres législatifs et régulateurs promouvant l’innovation et les expériences relatives aux FinTech et à leurs produits et services. C’est justement à ce niveau que la Bank of Mauritius s’est attelé à travailler d’arrache-pied.

La création d’un écosystème bancaire numérique, voire d’une économie numérique, est au cœur de mes priorités. Dans ce sens, j’envisage d’entamer des discussions avec toutes les parties prenantes, et de dégager des initiatives qui permettront, à court-terme, à l’Ile Maurice de concrétiser ses ambitions.

C’est dans cette optique, et également pour renforcer nos initiatives pour un système bancaire ouvert, que la Banque a investi massivement dans la modernisation de son infrastructure de système de paiements. En vue de numériser davantage le secteur bancaire, la Bank of Mauritius a mis en place en décembre 2021 un cadre pour l’octroi de licences pour les banques digitales.

Nous voulons aussi faire la part belle à l’innovation. C’est dans ce sens que nous travaillons sur la création d’un Hub d’innovation pour les FinTechs et d’un Laboratoire Numérique. Ceci dit, comme pour toute banque centrale, nous ne sommes jamais assez prudents. C’est pour cela que nous définissons aussi les paramètres relatifs à la cyber-sécurité, à la gestion des risques technologiques et à l’utilisation des plateformes cloud.

Mesdames et Messieurs,

En guise de conclusion, c’est un appel que je souhaite lancer. Un humble appel à cette auguste audience de dirigeants de banques centrales des pays francophones afin que nous travaillions ensemble à relever des défis qui nous sont communs.

J’exprime ici le souhait que nous nous penchions sur la création d’une plateforme francophone qui permettra de partager nos expériences et de faire avancer, conjointement, nos projets de monnaie digitale de banque centrale.

 C’est l’idée d’un travail en commun, pour une cause commune, cela afin de favoriser l’harmonisation ou sinon l’intégration de nos approches.

Avec ces mots je vous remercie Mesdames et Messieurs de votre attention et je n’ai point de doute que notre collaboration se poursuivra à un échelon supérieur. 

 

Gouverneur Harvesh Seegolam

Conférence des Gouverneurs des Banques Centrales des Pays Francophones

Mercredi 25 Mai 2022